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Sidnaaba : le chef de la vérité se dévoile

Il se définit comme un communicateur autodidacte. Venu à la radio par curiosité, il en est aujourd’hui un passionné et un communicateur hors pair dans l’animation en langue nationale mooré. PDG de la radio Savane FM, Aboubacar Zida, plus connu sous le nom Sidnaaba continue de manipuler avec dextérité les multiples flèches à son carquois. Une véritable référence pour la jeunesse. Rencontre avec “le directeur de la vérité”, l’homme qui ne dort que trois heures par nuit.

Comment vous est venu ce surnom Sidnaaba ?

C’est à partir de 1988 que ce nom a pris corps quand j’ai commencé à animer à Radio Burkina et après à Horizon FM. Sidnaaba veut dire “chef de la vérité” parce que je suis celui- là qui ne sait pas contourner la vérité.

Comment êtes- vous venu au journalisme ?

C’est de façon accidentelle que je suis arrivé à ce métier. Je suis moi- même un autodidacte, je n’ai jamais été à l’école ni même avoir suivi une formation dans le domaine du journalisme et de la communication. J’en suis là par passion. Avant 1988 je n’ai jamais imaginé que je serais un jour animateur dans une radio quelconque même si j’aimais très bien écouter la radio. C’est peut- être cet amour pour la radio qui m’a permis d’être aujourd’hui un communicateur autodidacte.

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Quand je suis rentré définitivement de la Côte- d’Ivoire en septembre 87, je me suis installé à Ouagadougou. Un jour j’ai décidé d’aller voir en live les contes du Larlé Naaba qui me passionnent beaucoup et découvrir les conteurs que j’écoutais depuis l’étranger. C’était en février 1988. Quand je les ai vus conter, le jour suivant j’y suis retourné en me disant que je peux conter parce que j’imaginais moi- même des contes en plus de ceux que j’ai appris avec les autres. Ma participation a été concluante et j’ai alors eu la possibilité d’animer d’autres émissions au niveau de la radio rurale. Je suis donc resté à la radio rurale jusqu’à ce que Horizon FM voit le jour le 31 décembre 1990. Mon ami Jean Léonard Compaoré qui était ministre de l’administration territoriale à l’époque, est intervenu auprès de Moustapha Thiombiano et ce dernier m’a fait appel le 3 janvier 1991 pour que je rejoigne sa nouvelle radio. J’ai commencé l’animation le même jour et c’est ainsi que la radio est devenue mon compagnon il y a plus de vingt ans maintenant.

J’ai quitté Horizon FM le 30 octobre 1992 pour une autre expérience, en l’occurrence comme agent de publicité d’une usine. Quand la Radio Energie a vu le jour, on m’a muté au niveau de cette radio. J’y suis resté jusqu’à la fermeture de ladite radio suite au décès du promoteur. C’est ainsi qu’avec des amis nous avons décidé de créer notre propre radio – La Radio Savane FM – en 1999. Nous avons signé la convention en juin 1999, nous avons commencé les essais en septembre et l’ouverture officielle a eu lieu le 11 octobre de la même année.

Qu’est-ce qui vous alors retenu dans ce métier, puisque vous n’aviez pas pour ambition d’y faire carrière ?

Vous savez, ce métier vous conduit partout. Il est passionnant. N’eut été ce métier je n’aurais jamais accès à certaines personnalités comme les ministres, les chefs d’Etat, etc. Il n’y a rien de tel.

Comment vous faisiez le travail à l’époque ?

Ce qui m’a marqué dans ce métier c’est le journal parlé en mooré que j’ai eu l’honneur de présenter en premier au Burkina Faso. Je ne dis pas qu’il n’y avait pas d’informations en mooré mais le style que j’ai instauré, j’étais le premier à le faire en son temps. C’était en juin 1991. Radio Horizon FM synchronisait depuis son ouverture les journaux parlés de Radio Burkina. Un jour le promoteur de la radio est revenu d’une audience qu’il a eu avec le ministre de l’information Kilmité Hien et il nous a dit que le ministre lui a dit que s’il continue à synchroniser avec la radio nationale il doit payer. Il fallait donc imaginer quelque chose en lieu et place des heures des journaux parlés de la RNB (13h et 19h). Chacun a fait ses propositions et quand moi j’ai proposé un journal parlé en mooré, mes collègues se sont moqués de moi. Mais Moustapha a trouvé que mon idée n’est pas mal et il m’a dit « tu vas faire le journal en mooré aujourd’hui même ! ». A l’époque nous recevions les dépêches de l’AFP par l’AIB (Agence d’Information du Burkina). Il était 10h quand j’ai commencé à sélectionner les dépêches. Je me rappelle exactement des éléments que j’ai traités ce jour là : c’était l’assassinat du président Mohamed Boudiaf ; les bombardements de Boukana par les éléments de Charles Taylor ; le bombardement de la Bosnie Herzégovine ; le blocus naval de l’OTAN qui a bloqué les Serbes à une ville de Sarajevo et l’opération chirurgicale du pape Jean Paul II. C’était le menu de mon premier journal en mooré. Il n’y avait pas d’informations locales parce que nous avions décidé de ne pas nous attaquer à ça d’abord. La mayonnaise a pris et les gens nous appelaient pour nous féliciter et nous encourager.

Comment voyez- vous le journalisme en langues nationales aujourd’hui ?

Le journalisme en langues aujourd’hui tient sa route, sauf que certains y sont venus parce qu’ils n’avaient pas de boulot. Celui qui vient à la radio parce qu’il n’a pas de boulot, il passe à côté. Celui qui vient à la radio parce que c’est sa passion, il réussit sa mission. Je ne suis pas un professionnel de la communication mais je pense que la communication c’est la passion avant tout. Si vous n’êtes pas passionné et vous venez parce que vous savez écrire ou parler et ainsi avoir un salaire consistant, vous allez passer à côté. La plupart des animateurs en langues nationales comme en français sont venus parce qu’ils n’ont pas de boulot. Je suis désolé mais ils ne pourront pas faire long feu. On peut réussir dans ce travail mais c’est la qualité de votre travail qui peut amener la réussite. Sinon les jeunes journalistes en langues nationales sont bien mais je leur reproche le fait qu’ils ne prennent pas le temps nécessaire qu’il faut pour bien traduire les textes.

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Il faut alors une école de formation des journalistes en langues nationales ?

Normalement compte tenu du fait que beaucoup ne comprennent pas français, il est mieux de les alphabétiser dans leurs langues.

Qu’est-ce qui vous a marqué négativement depuis 1988 ?

Il y en a beaucoup ! La première chose qui m’a marqué négativement c’est la guerre du Rwanda. Le Burkina avait envoyé un contingent des Nations unies. Un jour en sélectionnant les dépêches, je suis tombé sur une qui disait qu’un Burkinabè du contingent a été tué et le nom de la victime a été précisé. Je n’ai pas pris le soin d’attendre et j’ai annoncé la nouvelle à l’édition du journal. Il se trouvait que la mère du défunt écoutait la radio, et quand elle a entendu le décès de son fils, elle s’est évanouie. Quand j’ai appris la nouvelle, cela m’a marqué et je ne peux pas oublier. Mais cela m’a donné des leçons que pour ce genre de choses, il ne faut jamais se précipiter. La deuxième chose qui m’a marqué, c’est quand j’étais à la radio Energie. Le 1er avril 1995, j’ai fait un poisson d’avril. Dès 6h du matin j’ai annoncé qu’Oumarou Kanazoé va distribuer de l’argent à la place de la Révolution ! (rires). Quand j’ai dit ça, les minutes qui ont suivi j’ai démenti pour dire que c’est un poisson d’avril. Malgré mon démenti, en un laps de temps, la place de la Révolution était noire de monde. Beaucoup de gens sont sortis. Ce qui m’a touché c’est que c’est des personnes âgées, des personnes démunies.

Toujours dans le régistre de ce qui m’a marqué négativement c’est aussi l’incendie de Radio Energie de Yako. Cette radio avait été mise en place grâce à mes relations personnelles. Elle était synchronisée à la maison mère. Le 4 janvier 1999, quelques jours après l’assassinat de notre confrère Norbert Zongo, il y a eu une marche sur la radio et ils ont tout brûlé. Nous n’avons rien pu sauver. On ne peut pas tout citer mais pour finir je vais citer cette anecdote par rapport à Savane FM. Au démarrage de la radio, tout était réuni ; mais nous n’avions pas d’émetteur, seulement un exciteur de 20 watts avec lequel nous comptions émettre. Quelqu’un nous avait promis de l’argent pour acquérir l’émetteur. Le jour du rendez- vous je suis allé chez lui tout confiant ; mais quand il est sorti il m’a dit qu’il ne peut plus nous aider parce qu’ils ont tué son ami, le président nigérien Maïnassara. Je suis reparti tout triste. Quand on a commencé les essais aussi on n’avait pas les moyens pour acheter les unités pour le courant. On prenait pour 2000 FCFA et quand ça commençait à finir on était obligés d’arrêter. Quand on arrête on commence à chercher l’argent pour se ravitailler en unités pour le courant. J’ai dû vendre ma roue secours à 10 000F. C’est avec cette somme que nous avons démarré normalement jusqu’à recevoir un soutien de 25 000FCFA de la part d’un ami pilote qui est venu visiter la radio. Malgré le fait qu’on couvrait un petite partie de Ouagadougou mais les gens nous faisaient confiance. Ils nous envoyaient les communiqués et c’est ainsi que nous avons fonctionné jusqu’aujourd’hui.

Tout récemment la situation que notre pays a vécue en 2011, c’est avec grande surprise que nous avons été visité par les militaires. Ils ont tout détruit, tout ! Cela m’a marqué parce que la crise ne nous concernait pas, nous ne sommes responsables nulle part. Nous ne sommes pas des politiciens et nous ne faisons pas la politique de quelqu’un. Notre radio est impartiale : l’opposition comme le pouvoir, les syndicats, la société civile ont accès à notre radio. Par la suite les militaires qui sont venus saccager la radio sont venus me demander pardon qu’ils se sont trompés, parce qu’ils auraient appris que nous sommes financés par un de leurs supérieurs hiérarchiques. Ce qui est faux. Je précise que Savane FM n’est pas une propriété de Sidnaaba, je suis un actionnaire mais pas l’unique. C’est avec des amis que nous avons créé Savane FM.

Quel a été le secret de Savane FM qui s’impose aujourd’hui comme l’une des radios les plus écoutées de la capitale ?

Il n’y a pas de secret. Le secret dans toute réussite c’est le travail. Tous ceux qui veulent réussir dans leurs domaines doivent s’attacher au travail.

Quels sont les projets que vous nourrissez pour votre radio ?

Nous avons pour ambition de passer à l’audiovisuel. Nous avons signé la convention avec le CSC (Conseil Supérieur de la Communication), malheureusement le délai qui nous était imparti est dépassé mais nous n’avons pas eu les moyens pour démarrer la télévision. En fait ce qui nous a bloqués aussi, c’est que nous n’avons pas voulu démarrer la Savane TV pour ressembler aux autres. Nous voulons que notre télé soit entièrement différente des autres. Nous voulons toujours faire autrement.

Qu’est-ce que les gens disent généralement de Savane FM, quel est le feedback que vous recevez ?

Les gens disent généralement de Savane FM que c’est la radio où on décortique toutes les informations. Ce que les autres ont peur de dire ou de diffuser, nous nous le faisons passer si cela respecte la loi. Nous n’avons pas de parrain politique comme certaines radios de la place qui sont affiliées à des hommes politiques.

Un conseil à la jeune génération ?

C’est comme je l’ai dit antérieurement, il faut aimer le travail, se faire former. Se former ne veut pas forcément dire aller dans une école professionnelle. Il ya des personnes ressources dans le métier vers qui on peut se tourner pour avoir un minimum de formation pour ne pas trop tâtonner. Il faut aussi aimer ce travail avant que la fortune ne vienne ; il ne faut pas attendre la fortune pour aimer le travail.

Sidnaaba a- t- il toujours le temps pour dire sa vérité sur les ondes de Savane FM ?

Jusqu’à ce jour je continue d’animer l’émission matinale.

Quel est le contenu d’une journée de Sidnaaba ?

Il faut plutôt parler de nuit et jour de Sidnaaba parce que je ne dors pas plus de 3 à 4 heures sur les 24 heures de la journée. Le reste je suis au travail. De 4h à 8h du matin je suis à Savane FM, après 8h je suis dans le service immobilier que j’ai créé et qui s’appelle « S.I.F » Service immobilier du Faso ; j’ai aussi une agence d’assurances appelée Assurance Dignité ; ma ferme où je fais de l’élevage et bien d’autres choses que je fais.

 

Interview réalisée par Koundjoro Gabriel Kambou