Rapports d’enquête

Rapport du collège de Sages sur les crimes impunis de 1960 à nos jours!

SOMMAIRE

INTRODUCTION

Aperçu politico-historique
Du Collège de Sages
Du crédit accordé au Collège de Sages et à sa mission
De la méthode de travail du Collège de Sages

ANALYSE DES PROBLEMES PENDANTS

I. DOMAINE SOCIAL ET CULTUREL

1.1 Principales causes de la crise
1.2 Recommandations
1.3 Propositions de solutions

II. DOMAINE POLITIQUE ET ADMINISTRATIF

2.1 Principales causes de la crise
2.2 Recommandations
2.3 Propositions de solutions

III. DOMAINE ECONOMIQUE

3.1 Principales causes de la crise
3.2 Recommandations
3.3 Propositions de solutions

IV. DOMAINE ETHIQUE

4.1 Principales causes de la crise
4.2 Recommandations
4.3 Propositions de solutions

ANALYSE DES CRIMES RESULTANT OU PRESUMES RESULTER DE LA VIOLENCE EN POLITIQUE

V. LES CRIMES DE SANG

5.1 Différentes catégories
5.2 Causes explicatives probables
5.3 Traitement proposé

VI. LES CRIMES ECONOMIQUES

6.1 Faits
6.2 Causes
6.3 Traitement

VII. LES AUTRES CRIMES

7.1 Nature
7.2 Cause
7.3 Traitement

RECOMMANDATION SPECIALE

CONCLUSION

APPEL DU COLLEGE DE SAGES AU PEUPLE DU BURKINA FASO

SIGNATURE DES MEMBRES DU COLLEGE DE SAGES

INTRODUCTION

Aperçu politico-historique

De la Haute-Volta des années 60 au Burkina de nos jours, notre pays a fait l’expérience de tous les types de régimes qui ont marqué le 20e siècle finissant.
En effet, la 1re République du président Maurice Yaméogo (1960-1966) a été marquée par son très fort ancrage à droite dans une politique d’endiguement du communisme prônée par le président Félix Houphouët Boigny.
Les régimes d’exception de 1966 à 1970 et de 1974 à 1978 du président Sangoulé Lamizana ainsi que la 2e République (1970-1974) et la 3e République (1978 à 1980) du même président, ont imprimé au pays une politique fluctuant entre la droite classique et le centre droit suivant les dosages que les circonstances du moment dictaient.
De 1980 à 1982, avec l’avènement du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) du Colonel Saye Zerbo, notre pays connaîtra un frémissement gauchissant avec une forte poussée socialiste. La tendance générale était plutôt centre gauche. Les clivages idéologiques, jusque-là contenus dans les milieux civils, gagneront cependant les rangs de l’armée, exacerbant le conflit de génération entre les aînés et les jeunes officiers qui en découdront par les armes.
De 1982-1983, avec le Conseil de salut du peuple (CSP) du Commandant Jean Baptiste Ouédraogo, la Haute volta sera gouvernée par un mélange explosif de patriotes progressistes et de communistes révolutionnaires. Le clivage idéologique sera porté à son paroxysme et très vite la rhétorique révolutionnaire l’emportera, imposant de ce fait une lutte des classes qui ne dira pas encore son nom.
De 1983 à 1987, le capitaine Thomas Sankara et l’aile communiste du Conseil de salut du peuple (CSP) imposeront la révolution sous la conduite du Conseil national de la révolution (CNR). La Haute-Volta deviendra le Burkina Faso et adoptera une nouvelle devise, un nouveau drapeau, un nouvel hymne et de nouvelles armoiries.
Ce régime cultivera une vision manichéenne de la société voltaïque puis burkinabè avec d’un côté les bons et de l’autre les mauvais pudiquement déclarés ennemis du peuple, les premiers devant absolument éliminer les seconds. S’en suivront la chape de plomb et les excès de tous genres que connaîtra le pays. La violence du discours et la culture du terrorisme prendront leurs fondements sous ce régime.
De 1987 à 1991, le Front populaire du capitaine Blaise Compaoré tentera d’humaniser la révolution. Le Burkina Faso revient alors à un régime progressiste nationaliste, mais toujours avec en toile de fond, la persistance du terrorisme et de la violence.
Avec la chute du mur de Berlin, la mondialisation et la démocratisation imposée par la conférence de la Baule présidée par François Mitterrand (1990), la 4e République (depuis 1992) du président Blaise Compaoré, deviendra un régime de gauche libéral. Mais on passe difficilement de la révolution à la démocratie sans à coups et sans traumatisme.
Le régime l’apprendra à ses dépens, obligé qu’il était de gouverner avec des acteurs aux idéaux politiques parfois divergents. La survivance des réflexes des états d’exception autorisera la persistance du terrorisme politique.
De ce bref aperçu historique des régimes politiques de notre pays, nous relevons que notre peuple a une très riche expérience politique. Le burkinabè est donc un citoyen aguerri et averti à même de surmonter n’importe quel séisme politique. Or subitement, depuis le 13 décembre 1998, une crise majeure, sans précédent, secoue le pays. Au nombre des principales causes structurelles de cette crise, s’inscrit la culture politique de la classe dirigeante actuelle.
En effet, la majeure partie de la classe politique dirigeante de notre pays, toutes tendances confondues, est issue du militantisme estudiantin de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) et de ses démembrements.
Cette génération, notamment celle issue de l’éclatement de l’Union générale des étudiants voltaïque (UGEV) est marquée par la culture politique de la guerre froide faite de radicalisme, d’exclusion et de lutte des classes à outrance sur le plan intérieur et par le partage du monde en révolutionnaires amis du peuple et en capitalistes réactionnaires ennemis du peuple.
Devenus leaders politiques, les étudiants d’hier n’ont pas su effectuer la mutation nécessaire pour devenir des hommes d’Etat, tant et si bien que des valeurs telles que le patriotisme, l’humanisme, le respect de la vie humaine, la morale, les us et coutumes qu’incarnait l’ancienne génération de politiciens, ont cédé la place à la violence politique avec les assassinats, les disparitions, le vandalisme, les tortures et les autres actes répréhensibles comme la corruption, les détournements, etc.
Le fait que le premier assassinat politique de notre histoire soit survenu en novembre 1982 lors de l’irruption des jeunes militaires au pouvoir confirme cette analyse. Les nombreux crimes de sang qui marqueront le parcours de la révolution et jalonneront l’intermède du Front populaire pour éclabousser la 4e République, illustrent si besoin était, la pertinence de l’analyse. Cette nouvelle culture politique va déteindre sur les institutions et marquer le comportement des acteurs politiques.
Dans ces conditions, le débat démocratique, l’exercice des libertés fondamentales et l’expression du vote libre seront vidés de leur contenu par des pratiques au service uniquement de la victoire à tout prix. Les querelles idéologiques n’ayant plus cours et les projets de société étant absents du débat politique, les affrontements d’idées vont être, de plus en plus, occultés par les attaques et les divergences plus personnelles que politiques. Un tel climat ne favorise ni la transparence, ni l’application normale des règles établies. L’illustration en est faite par les fraudes et les contestations lors des élections quand elles ne sont pas purement et simplement boycottées par les parties adverses.
Dans tous les cas, la responsabilité de tous les acteurs de la scène politique nationale est ici engagée : le pouvoir, l’opposition et les organisations de la société civile plus ou moins inféodées aux partis politiques.
Cette toile de fond historico-politique est nécessaire pour comprendre la complexité du carrefour auquel nous nous trouvons aujourd’hui ; carrefour marqué essentiellement par une menace grave et permanente pesant sur la paix sociale. C’est dans ce contexte que se situe la création d’un organe dénommé Collège de Sages chargé d’oeuvrer à la réconciliation nationale en vue de rétablir la paix sociale.

Du Collège de Sages

Suite aux violentes réactions suscitées par le drame intervenu à Sapouy le 13 décembre 1998, il a été institué une Commission d’enquête indépendante (CEI) chargée de mener toutes les investigations devant permettre de déterminer les causes de la mort de Norbert Zongo et de ses compagnons. Cette Commission a déposé ses conclusions le 7 mai 1999. Mais loin de participer à la décrispation escomptée du climat social, les résultats de l’enquête déclencheront davantage de troubles.
Pour faire face à la situation, le président du Faso a adressé un message à la Nation le 21 mai 1999 en vue de livrer son analyse des événements et les mesures qu’il a décidées aux fins d’endiguer la crise.
Parmi ces mesures la décision de créer un Collège de Sages chargé de passer en revue, dans les meilleurs délais, tous les problèmes pendants de l’heure et de proposer des recommandations à même d’emporter l’adhésion de tous les protagonistes de la scène politique nationale.
Faisant suite à son message, le président a pris le décret n° 99-158/PRES du 1er juin 1999 instituant le Collège de Sages composé : des anciens chefs d’Etat, des notabilités religieuses et coutumières et de personnes ressources. Le décret de nomination des membres est intervenu le 10 juin 1999 (liste en annexe). Les membres du Collège de Sages ont été reçus le 12 juin par le chef d’Etat.

Du crédit accordé au Collège de Sages et à sa mission

La création du Collège de Sages a suscité de nombreuses réactions tant de la part de la classe politique que de la part des organisations de la société civile et des populations. Ces réactions allaient du scepticisme à l’hostilité en passant par le pessimisme.
Pour les uns, il s’agissait d’une manœuvre de diversion de plus.
Pour les autres, sa conception unilatérale ne pouvait lui conférer une quelconque crédibilité. Il fallait donc s’en démarquer.
Les plus indulgents, tout en se posant des questions sur sa légitimité, se demandaient ce qu’il adviendrait de ses recommandations.
Les membres pressentis pour participer au Collège de Sages, sans minimiser les difficultés et la délicatesse d’une telle mission, l’ont, cependant, acceptée avec courage dès leur nomination, dans l’intérêt supérieur de la Nation.
Eu égard à la gravité de l’heure, la détermination et la conviction des membres du Collège de Sages ont alors suscité leur cohésion et leur solidarité, leur volonté commune étant d’œuvrer pour la recherche de la paix sociale et de la réconciliation nationale. Ils s’appliqueront à leur mission avec honnêteté, équité et responsabilité.

De la méthode de travail du Collège de Sages

Dès sa prise de contact en son siège au site du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO), le Collège de Sages a procédé à l’analyse de sa mission et a placé celle-ci sous le signe de la méditation et du discernement pour la recherche de la vérité et de la justice dans le sens de la réconciliation nationale.
Les travaux proprement dits ont débuté le 14 juin 1999 par :
– la rédaction et l’adoption d’un règlement intérieur
– la mise en place d’un bureau
– l’installation d’un comité ad hoc chargé du budget et de l’intendance
– la mise en place de deux Commissions :
* une Commission chargée des problèmes pendants
* une Commission chargée des crimes impunis et affaires d’homicides résultant ou présumés résulter de la violence en politique.
Dès l’analyse de la mission en rapport avec la situation socio-politique présente, il est apparu nécessaire de réunir un minimum de conditions devant permettra l’amorce d’un apaisement social indispensable à la sérénité du travail du Collège de Sages. Pour ce faire, le Collège de Sages a, au cours d’une audience, soumis ses premières recommandations au chef de l’Etat. Celui-ci les a acceptées et en a facilité la mise en œuvre.
Après cette étape, et dans le souci de susciter la participation la plus large possible à cette œuvre de réconciliation qui engage tous les burkinabè, le Collège de Sages a jugé opportun de recueillir l’analyse, les recommandations et les suggestions de quarante une (41) organisations et instances de la vie sociale, politique et économique de notre pays.
C’est ainsi que les principaux partis politiques, le collectif de syndicats et centrales syndicales, les organisations de défenses des droits de l’homme, associations et Organisations non Gouvernementales (ONG) nationales, autorités religieuses et coutumières ainsi que certaines institutions ont été entendus. Au total, 274 personnes dont 41 femmes ont été reçues par le Collège de Sages.
Le Président du Faso et le Gouvernement se sont également prêtés à cet exercice d’analyse de la situation et de propositions de solutions.
Les auditions des différents groupes ont eu lieu du 28 juin au 8 juillet 1999. Toutes les délégations qui se sont présentées ont marqué leur intérêt et leur disponibilité pour contribuer, chacune à sa manière à la résolution de la crise.
Cependant, il faut souligner que le Président de l’Assemblée nationale a décliné l’invitation du Collège de Sages au motif que “l’Assemblée nationale est une institution particulière, en raison de sa nature d’organe législatif de l’Etat… L’Assemblée n’a pas de position en soi… C’est chaque groupe parlementaire qui pourrait avoir une position, celle de son parti… il reste entendu que pour les recommandations du Collège de Sages qui seraient retenues et qui nécessiteraient un traitement de nature législative, l’Assemblée nationale remplira ses fonctions constitutionnelles”.
Le Collège de Sages a aussi enregistré les contributions écrites de certaines institutions n’ayant pu respecter le calendrier de rencontre ainsi que celles d’individus voulant participer à leur manière aux réflexions.
Par ailleurs, dans le souci de réaliser un inventaire, le plus large possible, de tous les crimes impunis résultant ou présumés résulter de la violence en politique, le Collège de Sages a lancé des appels à témoin en direction de la population par l’intermédiaire de fiches à remplir. Il a ainsi, reçu à la date du 30 juillet 1999 deux cent trente et une (231) fiches, réparties comme suit :
– Crimes de sang : 91
– crimes économiques : 81
– autres crimes (séquestration, tortures, carrières brisées …) : 49
– autres fiches ne relevant pas de la mission du Collège de Sages : 10
Le Collège de Sages tient à exprimer ses très vifs remerciements à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, lui ont apporté leurs contributions dans l’exécution de sa mission.
Les développements qui suivent sont les résultats du travail consensuel du Collège de Sages.

ANALYSE DES PROBLEMES PENDANTS

La crise actuelle que notre pays traverse depuis quelques mois est réelle et profonde. Elle n’est pas que conjoncturelle ; elle est structurelle. Elle s’étend à tous les secteurs de la vie nationale et touche toutes les couches de la population. Elle se manifeste dans les domaines social et culturel, politique et administratif, économique et enfin au niveau éthique. Les tragiques événements récents, notamment le drame intervenu le 13 décembre 1998 à Sapouy, n’en ont été que le détonateur.

I. DOMAINE SOCIAL ET CULTUREL

1. 1 Principales causes de la crise

Elles trouvent leurs sources dans :
1.1.1 L’absence de justice sociale se traduisant par l’inégalité dans la répartition des ressources nationales et des revenus en même temps qu’une concentration de plus en plus croissante des richesses entre les mains d’une minorité.

1.1.2 La paupérisation croissante des populations malgré des indicateurs macro économiques relativement satisfaisants.

1.1.3 Le chômage structurel aggravé par les pertes d’emploi liées au mode de privatisation.

1.1.4 Les frustrations et les rancœurs dues à l’accumulation des problèmes non résolus (disparitions, assassinats non élucidés, tortures, carrières arbitrairement brisées, caractère unilatéral des décisions de ceux qui assument le pouvoir, même pour des questions d’intérêt national).

1.1.5 La limitation des réhabilitations à leur dimension purement administrative et financière, de surcroît parfois incomplète et pour lesquelles personne n’assume la faute de la sanction arbitraire, ni ne demande pardon.

1.1.6 La non-satisfaction des exigences socioculturelles à l’endroit de certaines victimes des violences politiques (morts dont on ignore jusqu’à la tombe et disparus dont la mort n’a jamais été officiellement t reconnue).
1.1.7 Les disparités entre les villes et les campagnes tant dans le domaine des revenus que de la santé, de l’éducation et des infrastructures.

1.1.8 La précarité de la sécurité des personnes et des biens (coupeurs de route, grand banditisme, vandalisme, milices privées, abus de pouvoir et d’autorité).

1.1.9 La violation des libertés individuelles et collectives relatives aux réunions, aux manifestations sur la voie publique, au respect des lieux de culte et aux franchises scolaires et universitaires.

1.1.10 Le caractère non consensuel des textes relatifs au droit de grève et l’utilisation de celui-ci à d’autres fins que corporatistes.

1.1.11 L’injustice (justice à deux vitesses et inégalité des citoyens devant la loi) et la culture de l’impunité (transgression consciente des lois avec le sentiment qu’on ne sera pas sanctionné).

1.1.12 Les problèmes culturels résultants de la distorsion entre enseignement et éducation, de la consommation sans discernement des produits des mass médias et enfin de la non prise en compte ou de la méconnaissance de nos propres valeurs culturelles.

1.1.13 La dégradation de l’image de marque et de la crédibilité de notre pays au plan international.

1.2 Recommandations

1.2.1 Réduire les inégalités sociales pour plus de justice par une répartition plus équitable des ressources nationales et des revenus.

1.2.2 Respecter les libertés individuelles et collectives dans le souci de promouvoir la paix sociale.

1.2.3 Procéder à une réhabilitation morale de toutes les victimes des violences politiques.

1.2.4 Mettre en œuvre des mesures appropriées pour assurer la sécurité des personnes et des biens.

1.2.5 Définir et mettre en place une véritable politique de l’emploi.

1.2.6 Prendre en compte la demande de participation des associations de chômeurs à certaines institutions telles que le Conseil économique et social (CES), la Chambre des représentants … etc.

1.2.7 Mettre à contribution les intellectuels qui, dans le respect des exigences intellectuelles et avec un sens aigu de la responsabilité, peuvent éclairer et enrichir les débats en vue de décisions responsables et participatives dans la conduite des affaires de la Nation.

1.2.8 Accorder une attention particulière aux problèmes d’éducation, de santé, de formation et d’emploi chez les jeunes. Le système éducatif lui-même devrait être repensé en adéquation avec une réelle politique de l’emploi.

1.2.9 Le Collège de Sages, sans prendre parti dans les débats qui opposent le gouvernement à l’Union internationale des droits de l’Homme (UIDH) au sujet de l’accord de siège de l’UIDH, appelle les deux parties à privilégier le dialogue et le compromis.

Aussi, le Collège de sages invite d’une part le Président de l’UIDH au respect d’obligation de réserve et d’autre part le gouvernement à reconsidérer la dénonciation de l’accord de siège entre cette institution et le Burkina Faso.
La crédibilité et l’image de marque de notre pays y gagnerait.

1.3. Propositions de solutions

1.3.1. Procéder à une relecture concertée et responsable des textes non consensuels avec toutes les parties concernées et portant sur les libertés de réunions, de manifestations sur la voie publique, sur les franchises scolaires et universitaires et sur le droit de grève.

1.3.2. Re-instaurer un dialogue franc entre le pouvoir et les syndicats sur la loi portant réforme de la Fonction publique.

1.3.3. Réactiver les dossiers en souffrance tant au niveau de l’Inspection générale d’Etat, de l’Inspection générale du ministère de l’Economie et des Finances qu’au niveau de la justice.

1.3.4. Veiller à mieux contrôler la circulation et le port des armes et porter une attention particulière aux coupeurs de route, au grand banditisme et aux phénomènes s’apparentant à des milices privées.

1.3.5. Dans le cadre des réhabilitations, tenir compte de la reconstitution effective des carrières pour toutes les victimes de l’arbitraire, civiles comme militaires.

II. DOMAINE POLITIQUE ET ADMINISTRATIF

2.1. Principales causes de la crise

Elles trouvent leurs sources dans :

2.1.1. Le dysfonctionnement structurel des institutions républicaines (Exécutif, Législatif, Judiciaire).

2.1.2. Le manque de démocratie réelle tant à l’intérieur des partis qu’au niveau national.

2.1.3. L’absence de dialogue entre les acteurs de la scène politique nationale : entre le pouvoir et l’opposition d’une part, et d’autre part entre le pouvoir et les organisations de la société civile. A divers niveaux, les positions excessives et figées des uns et des autres ne facilitent pas la recherche de solutions consensuelles.

2.1.4. L’absence de consensus sur le contenu des textes fondamentaux régissant la vie politique nationale (procédure de révision de la Constitution, Code électoral, Commission électorale nationale indépendante et Conseil supérieur de l’information (CSI).

2.1.5. Les violences politiques aussi bien dans les discours que dans les actes.

2.1.6. La politisation des institutions républicaines traditionnellement neutres (Administration, Armée, Justice).

2.1.7. Le contrôle effectif de l’appareil d’Etat par un seul parti.

2.1.8. La marginalisation d’une opposition souffrant déjà d’émiettement.

2.1.9. La politisation des organisations de la société civile.

2.1.10. La politisation à outrance des opérateurs économiques.

2.1.11. Les dérives dans la gestion du pouvoir d’Etat se traduisant par le clientélisme (trafic d’influence et achat des consciences), le favoritisme, le népotisme et l’arrogance de certains acteurs politiques.

2.1.12. La rupture de confiance entre gouvernés et gouvernants.

2.1.13. L’organisation d’élections jugées non transparentes et non équitables par l’opposition, créant ainsi des frustrations et cristallisant les positions des protagonistes politiques.

2.2. Recommandations

2.2.1. Toute légalité et toute légitimité tirant leur source de la Constitution, celle-ci doit faire, tant dans son esprit que dans sa lettre, l’objet d’un strict respect.

2.2.2. Dans l’esprit de cette Constitution :

2.2.2.1. Accorder une attention particulière à la séparation effective des pouvoirs (Exécutif, Législatif, Judiciaire) pour une plus grande consolidation de la démocratie et de la bonne gouvernance.

2.2.2.2. Respecter les règles du jeu démocratique et accepter le principe de l’alternance politique tant au niveau des institutions que des partis politiques.

2.2.2.3. Moraliser la vie politique nationale en exigeant notamment des partis politiques la définition de vrais projets de société, une réelle formation de leurs militants, l’acceptation des débats d’idées dans la courtoisie, la probité intellectuelle, le sens de la tolérance et du compromis. Il faut par ailleurs lutter contre le nomadisme politique et l’achat des consciences.

2.2.3. Remettre en œuvre la neutralité politique :
– De l’administration, de l’armée et de la justice,
– des organisations de la société civile (syndicats, mouvements des droits de l’Homme et Organisations non gouvernementales (ONG).

2.2.4. Respecter les domaines de compétences des communautés religieuses et coutumières tout en les invitant à tenir compte de la laïcité de l’Etat et de ses institutions.

2.2.5. Pratiquer une meilleure gestion des ressources humaines et des compétences notamment dans l’Administration, l’Armée et la Justice par le respect de la hiérarchie, du mérite et du professionnalisme.

2.2.6. Procéder à la nécessaire recomposition de la scène politique nationale en vue de favoriser l’expression d’opinions plurielles et une participation plus large et active de toutes les populations dans un véritable esprit de multipartisme.

2.2.7. Restaurer la confiance des justiciables en restructurant en profondeur l’appareil judiciaire pour garantir son indépendance et son efficacité.

2.2.8. Organiser la protection républicaine du chef de l’Etat par la Gendarmerie et la Police.

2.2.9. La création de la Chambre des représentants visait un élargissement de la démocratie en prenant en compte le fait que les partis politiques ne regroupent pas tous les burkinabè. Seulement, le caractère consultatif que lui assigne la Constitution ne lui permet pas de jouer pleinement son rôle. Aussi, convient-il de relire le texte de la Constitution pour :
– Lui conférer un caractère délibératif au niveau du parlement bicaméral,
– revoir en conséquence ses attributions, sa composition et le mode de désignation de ses membres.

2.2.10. Le dialogue étant une dimension essentielle du jeu démocratique, il est important que le pouvoir, l’opposition et la société civile le cultivent. Le vrai dialogue suppose ouverture d’esprit, disponibilité, honnêteté, sens de la responsabilité et de l’écoute.

2.2.11. Impliquer davantage les femmes dans la gestion des affaires du pays.

2.2.12. Pour favoriser la participation la plus large possible aux consultations électorales tout en luttant efficacement contre la fraude, l’Etat doit prendre toutes les dispositions pour que tous les citoyens en âge de voter, soient détenteurs d’une carte nationale d’identité.

2.3. Propositions de solutions

2.3.1. Revenir sur la modification de l’article 37 de la Constitution et y réintroduire le principe de la limitation à deux mandats présidentiels consécutifs. En effet, sa révision en 1997, quoique conforme à l’article 164 alinéa 3 de la Constitution, touche à un point capital pour notre jeune démocratie : le principe de l’alternance politique rendu obligatoire par le texte constitutionnel de 1991.

2.3.2. Restructurer l’appareil judiciaire par la relecture des articles 126 et 127 de la Constitution :
– Suppression de la Cour suprême
– création des juridictions ci-après :
* Conseil constitutionnel
* Cour de cassation
* Conseil d’Etat
* Cour des comptes.

2.3.3. Relire le statut de la magistrature dans lequel il sera expressément inscrit le devoir de réserve du magistrat si ce n’est déjà fait.

2.3.4. Mettre en oeuvre les grandes orientations décidées lors du dernier forum national sur la justice notamment en ce qui concerne la déontologie, la discipline, le service de la communication, l’autorité, le contrôle hiérarchique et les moyens humains et matériels.

2.3.5. Code électoral :
* Relire le Code électoral pour assurer la transparence et l’équité des opérations de vote
* Revoir le mode et le type de scrutin pour permettre aux petits partis d’être équitablement représentés
* Introduire le bulletin unique
* Accepter les candidatures indépendantes
* Informatiser les listes électorales.

2.3.6. Commission électorale nationale indépendante (CENI) :
* Assurer son indépendance effective dans son organisation interne
* Prévoir dans ses attributions la révision des listes électorales
* Prendre en charge les délégués des différents partis dans les bureaux de vote
* Envisager à long terme la création d’un corps d’Administrateurs électoraux (corps de fonctionnaires permanents chargés des opérations électorales).

2.3.7. Conseil supérieur de l’information (CSI)
* Lui donner sa dimension d’institution créée par la loi
* Assurer l’indépendance effective du “4e pouvoir”
* Revoir sa composition, ses attributions, la désignation de son président.

2.3.8. Recomposition de la scène politique nationale selon le processus chronologique suivant :

2.3.8.1. Mise en place d’une Commission ad hoc consensuelle composée de :
– 1/3 : Partis politiques de la majorité présidentielle
– 1/3 : Partis politiques de l’opposition
– 1/3 : Société civile
Cette Commission sera chargée de préparer les textes en vue de la modification :
* De la Constitution notamment en ses articles :
– 37 (cf. solution 2.3.1.)
– 80 (cf. recommandation 2.2.9. pour la Chambre des représentants)
– 126 et 127 (cf. solution 2.3.2 pour la Cour suprême)
* Du code électoral
* de la CENI
* du CSI
* de la Charte des partis politiques
* du financement équitable des partis politiques
* du statut de l’opposition
* de l’égal accès des partis politiques et des organisations de la société civile aux médias d’Etat.

2.3.8.2. Mise en place d’un gouvernement d’Union nationale de large ouverture composé des Partis politiques de la majorité présidentielle, des Partis politiques de l’opposition et de la Société civile.
Ce gouvernement sera chargé d’examiner et d’adopter les projets de lois élaborés par la Commission ad hoc en vue de leur transmission pour adoption à l’actuelle Assemblée nationale.

2.3.8.3. Dissolution de l’Assemblée nationale et des Conseils municipaux.

2.3.8.4. Organisation des élections législatives et municipales sur la base des nouveaux textes.

2.3.8.5. Projet de chronogramme
Septembre-Octobre 1999 :
– Mise en place d’un gouvernement d’union nationale
Octobre-Novembre et Décembre 1999 : Travaux de la Commission ad hoc
Mars-Avril 2000 :
– Dissolution de l’Assemblée nationale et des conseils municipaux
– Application de l’article 50 de la Constitution mais en prévoyant des dispositions spéciales en ce qui concerne les communes dont les mandats expirent normalement en février 2000.

III. DOMAINE ECONOMIQUE

3.1. Principales causes de la crise :
Elles trouvent leurs sources dans :

3.1.1. L’absence de transparence et de rigueur dans la gestion de la chose publique.

3.1.2. L’affairisme des responsables politiques à travers le trafic d’influence, les détournements, la corruption, les surfacturations, l’enrichissement illicite et la constitution de sociétés prête-noms appartenant soit aux proches soit à des relations des personnalités du monde politique.

3.1.3. L’impunité des crimes économiques avec l’existence de dossiers sans suites judiciaires établis par l’Inspection générale d’Etat, l’Inspection générale du ministère de l’Economie et des Finances et les enquêtes parlementaires.

3.1.4. L’inégalité dans la répartition des revenus et les disparités régionales résultant d’une mauvaise répartition des investissements au plan national.

3.1.5. Le comportement, l’arrogance et le mépris de certains nouveaux riches à l’égard de la population.

3.1.6. L’attribution non transparente des marchés publics.

3.1.7. Les privatisations non transparentes dans leur bien-fondé pour certaines sociétés d’Etat, leur opportunité, le choix des attributaires et l’indemnisation des déflatés.

3.2. Recommandations

3.2.1. Respecter la Constitution notamment en ses articles 72, 73, 74, 75 et 77 pour ce qui est des Hauts responsables desquels doit venir l’exemple. Ces articles ont trait aux incompatibilités entre l’exercice de leurs fonctions et leurs intérêts privés ainsi qu’à la déclaration de leurs biens.

3.2.2. Appliquer strictement les textes relatifs à la gestion de la chose publique y compris en matière d’attribution des marchés publics.

3.2.3. Répartir de façon juste et équilibrée, les investissements publics et ceux des Organisations non gouvernementales (ONG) au plan national.

3.2.4. Veiller à une meilleure gestion et à un octroi plus équitable des fonds destinés à la lutte contre le chômage, la promotion de la femme et celle des Petites et moyennes entreprises et industries (PME/PMI)

3.2.5. Mettre en oeuvre une véritable politique de répartition des revenus.

3.2.6. Dans le cadre des privatisations, veiller d’une part à l’intérêt national et à l’attribution non partisane, et d’autre part soigner les mesures d’accompagnement relatives aux travailleurs.

3.2.7. Redynamiser la police économique au niveau de la Direction générale de la Police nationale et la cellule économique au niveau de la Gendarmerie pour initier les enquêtes préventives ou répressives en matière économique.

3.2.8. Promouvoir la participation des syndicats dans les négociations avec les institutions financières internationales notamment le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.

3.3. Propositions de solutions

3.3.1. Poursuivre et punir administrativement et judiciairement les auteurs de délits et crimes économiques.

3.3.2. Rappeler à l’ordre et sanctionner au besoin les fonctionnaires en exercice qui mènent des activités lucratives.

3.3.3. Assainir et dépolitiser les attributions de marchés publics.

IV. DOMAINE ETHIQUE

4.1. Principales causes de la crise :
Elles tirent leurs sources de :

4.1.1. L’effet cumulé de la crise économique et de la crise de l’éducation ressenties par les familles.

4.1.2. La perte du sens du caractère sacré de la vie humaine et du respect dû aux morts.

4.1.3. La perte des valeurs morales telles que la rectitude, l’intégrité, l’honneur, la dignité et l’honnêteté.

4.1.4. Le manque d’idéal et de civisme chez nos concitoyens doublé de la perte du sens du bien commun.

4.1.5. L’absence de conscience professionnelle qu’accompagne un laxisme ambiant aggravé par le manque du sens de l’autorité de l’Etat.

4.1.6. Le manque de respect de la déontologie professionnelle.

4.1.7. L’exploitation des différences régionales et ethniques au détriment de la cohésion nationale.

4.1.8. La dépravation des moeurs et le matérialisme débridé.

4.2. Recommandations

4.2.1. Remettre en honneur l’éducation civique, sociale et morale dans les établissements d’enseignement et de formation professionnelle.

4.2.2. Promouvoir les valeurs cardinales, morales, professionnels, culturelles afin qu’elles marquent tous les aspects de la vie.

4.2.3. Promouvoir une éducation au sens et au respect des valeurs républicaines et démocratiques dans la cité.

4.3. Propositions de solutions

4.3.1. Inviter tous les agents de l’Etat, tous les travailleurs et tous les citoyens à plus de responsabilité et de rigueur dans la gestion et le respect du patrimoine commun.

4.3.2. Rappeler aux parents le devoir d’éducation morale et spirituelle de leurs enfants.

4.3.3. Reconnaître et récompenser le mérite à tous les niveaux et éviter les promotions et décorations de complaisance.

4.3.4. Tenir compte des résultats des enquêtes de moralité dans les nominations à des postes de responsabilité politique, administrative et de gestion.

4.3.5. Revaloriser le sens du travail dans l’optique d’une économie moderne de développement.

ANALYSE DES CRIMES RESULTANT OU PRESUMES RESULTER DE LA VIOLENCE EN POLITIQUE

Dans sa réflexion sur le traitement à réserver aux crimes impunis ainsi qu’à toutes les affaires d’homicide résultant ou présumés résulter de la violence en politique, le Collège de sages en les analysant, les a classées en trois catégories :

Les crimes de sang ;
Les crimes économiques ;
Autres crimes.

Pour chaque type de crime, il a identifié les causes possibles avant de proposer un traitement allant dans le sens de la réconciliation nationale à travers la recherche de la vérité, de la justice, de l’équité et sans esprit de vengeance.
Il est apparu de tout temps au Législateur qu’une personne tout comme la société ne peut indéfiniment porter le poids d’un passé fait de haine, de cruauté, d’injustice. Un pardon est nécessaire pour s’en décharger et pouvoir s’épanouir. C’est pourquoi le Législateur a prévu la prescription en matière pénale. Le Collège de sages a par conséquent retenu le principe de la prescription.
La prescription est le délai à l’expiration duquel :
– on ne peut plus introduire une action en justice contre un délinquant si on ne l’avait fait auparavant (ce délai est de 10 ans en matière criminelle, de 5 ans en matière correctionnelle, de 1 an en matière contraventionnelle) ;
– un délinquant devient inaccessible à la sanction pénale s’il a échappé à l’exécution de la peine après jugement pendant 20 ans pour une peine criminelle, 5 ans pour une peine correctionnelle et 2 ans pour une peine contraventionnelle.
Cependant, au niveau international, il existe des cas d’imprescriptibilité : les génocides, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre sont les seuls imprescriptibles. Les nations dont la nôtre ont adhéré à cette disposition.

V. LES CRIMES DE SANG

5.1. Différentes catégories

5.1.1. Les personnes tuées dans l’exécution des coups d’Etat :
– les agressés
– les agresseurs
– les victimes par balles perdues.

5.1.2. Les personnes éliminées hors du feu de l’action des coups d’Etat (il s’agit de personnes qui ont été tuées alors que les nouvelles autorités avaient déjà la situation en main).

5.1.3. Les personnes assassinées par règlement de compte politique.

5.1.4. Les personnes décédées par suite de bavures ou de tortures.

5.1.5. Les personnes portées disparues suite à des enlèvements ou à des interpellations et dont le décès est quasi certain.

Le Collège de sages constate avec amertume que les crimes de sang suite aux violences en politique commencés en 1982 se sont poursuivis jusqu’à nos jours.

5. 2. Causes explicatives probables

5.2.1. Raisons d’ordre politique

5.2.1.1. la conquête du pouvoir par les armes

5.2.1.2. la volonté de se maintenir au pouvoir coûte que coûte

5.2.1.3. la culture de la violence comme mode de gouvernement

5.2.1.4. la culture de l’impunité

5.2.1.5 le refus de la pensée plurielle.

5.2.2. Raisons d’ordre moral

5.2.2.1. la banalisation de la vie humaine

5.2.2.2. l’abus d’autorité

5.2.2.3 l’esprit de vengeance et de rivalité.

Ces raisons sont le fait d’une mauvaise assimilation d’idéologies totalement en désaccord avec les valeurs culturelles nationales.

5.3. Traitement proposé

La recherche de la paix passe par la manifestation de la vérité et l’expression de la justice. Aussi, concernant les crimes de sang, est-il nécessaire que les coupables soient identifiés et les mobiles établis. L’aveu ou la reconnaissance des faits et la demande de pardon faciliteront la mise en oeuvre des réparations qui font partie de la démarche humaine pour la réconciliation. Il faudra de la volonté, du courage et de l’humilité tant du côté des victimes que du côté des coupables. Le Collège de sages prenant en compte tout ce dont notre peuple a déjà souffert, recommande la non application de la peine de mort comme sanction.
Trois (3) situations ont été prises en compte dans le traitement :

– Les crimes récents, détonateurs de la crise actuelle dont le traitement rapide peut faciliter la marche du peuple vers la paix sociale ;
– Les crimes non prescrits ;
– Les crimes prescrits.

5.3.1. Les crimes récents

– Affaire David Ouédraogo
– Affaire Norbert Zongo et ses compagnons
– Affaire Pépin Auguste Ouédraogo.

5.3.1.1. Propositions de solutions

. Faire toute la lumière sur ces affaires, sans passion, sans pression et sans parti pris ;
. Prendre toutes les mesures utiles pour accélérer l’instruction des dossiers ;
. Inculper tous les auteurs, commanditaires et complices conformément aux règles du droit ;
. Rendre la justice en toute liberté et équité dans des délais raisonnables ;
. Appliquer effectivement les sanctions prononcées à l’exclusion de la peine de mort.

5.3.1.2. Recommandations :

Le Collège de sages recommande aux autorités :

. Que la tombe de David Ouédraogo soit montrée à sa famille ;
. que des excuses officielles soient présentées à toutes les familles des victimes accompagnées d’une demande de pardon ;
. que les veuves et orphelins des victimes soient pris en charge par l’Etat sur la base d’un texte de loi ;
. qu’une réparation morale et financière soit accordée aux compagnons de David torturés.

5.3.2. Les crimes non prescrits

5.3.2.1. Proposition de solutions

. Ouvrir une enquête administrative sur tous les crimes ;
. informer officiellement les familles des décès si cela n’a pas déjà été fait ;
. indiquer les tombes et les lieux d’enterrement ;
. engager les poursuites judiciaires (familles ou Procureur du Faso) ;
. dire le droit en toute liberté et équité ;
. restaurer la dignité et l’honorabilité des victimes ;
. dédommager les ayants droit.

Suite à l’examen des crimes de sang, le Collège de sages rappelle au peuple burkinabè et aux acteurs de la vie politique nationale en particulier, que la violence comme moyen de conquête du pouvoir est humainement intolérable, culturellement inadmissible et contraire à la Constitution. Aussi, l’article 167 doit-il être rigoureusement respecté dorénavant.

5.3.2.2. Recommandations

Le Collège de sages recommande :
. La proscription au Burkina Faso de l’élimination physique comme mode de règlement des conflits politiques ;
. La reconnaissance effective et l’acceptation du droit à la différence ;
. La prohibition effective de la pratique de la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants ;
. La prise de dispositions pour humaniser les prisons et lieux de détention en y mettant fin aux traitements dégradants pour la dignité humaine ;
. L’interdiction pour les militaires et paramilitaires du port d’arme en dehors des heures de services sauf mission ;
. L’érection d’un mémorial dans tous les chefs-lieux de province en l’honneur de tous les fils de la nation victimes de la violence en politique ;
. L’érection d’un monument national aux morts, à la mémoire de tous les soldats de notre nation tombés sur les champs d’honneur.

5.3.3. Les crimes prescrits

5.3.3.1. Proposition de solutions

. Pas de poursuites pénales des crimes de 1960 à 1988 de la prescription à l’exception de ceux pour lesquels une plainte a été déposée et est en cours de validité ;
. Ouvrir une enquête administrative pour clarifier les circonstances des arrestations et des décès des victimes ;
. Indiquer les tombes ou les lieux d’enterrement aux familles ;
. Restaurer la dignité et l’honorabilité des victimes.

5.3.3.2. Recommandations

Le Collège de sages recommande aux autorités qu’une réparation morale et financière soit faite à l’endroit des ayants droit.

VI . LES CRIMES ECONOMIQUES

Contrairement aux crimes de sang qui ne concernent que certains régimes, les crimes économiques sont dénoncés depuis l’indépendance jusqu’à nos jours. A l’analyse, ces crimes deviennent de plus en plus graves quant à l’ampleur et au volume des malversations, des enrichissements illicites, des corruptions, etc. On assiste ainsi à une inégalité dans la répartition des richesses, une minorité de personnes s’enrichissant de plus en plus au détriment de la grande masse qui s’appauvrit.

6.1. Faits

6.1.1. l’enrichissement accéléré de certains hommes politiques,
6.1.2. le détournement de biens publics,
6.1.3. l’affairisme de certains responsables politiques et administratifs,
6.1.4. l’attribution partisane des marchés aux opérateurs économiques proches du pouvoir, aux amis politiques et à des prête-noms,
6.1.5. la gabegie,
6.1.6. l’absence de rigueur dans la manipulation des fonds publics,
6.1.7. la corruption multiforme : active, passive, rampante,
6.1.8. le trafic d’influence,
6.1.9. le bradage du patrimoine national dans le cadre de certaines privatisations qui ne tiennent pas compte des intérêts nationaux,
6.1.10. les spoliations de biens meubles et immeubles,
6.1.11. les destructions des biens collectifs et individuels (vandalisme).

6.2. Causes

6.2.1. La culture de l’impunité,
6.2.2. Le manque de suivi de la gestion de la chose publique,
6.2.3. L’incompétence de certains gestionnaires et administrateurs,
6.2.4. Le relâchement de la moralité à tous les niveaux de la société,
6.2.5. L’amour excessif de l’argent,
6.2.6. Les mauvais exemples aux échelons supérieurs,
2.2.7. Le non-respect du bien commun et/ou du bien d’autrui.

Les crimes économiques sont très graves, car, à l’instar des homicides, ils tuent. Leur gravité s’explique tant par les conséquences dramatiques qui frappent aussi bien les individus et les familles que par le fait qu’ils hypothèquent l’avenir de toute la nation. Ces crimes, par les effets pervers induits, détruisent le tissu économique, social et familial par leurs répercussions profondes et désastreuses.
Ainsi, l’attribution partisane de marchés, de surcroît aux bénéficiaires de la même sensibilité politique étouffe les petites et moyennes entreprises et dégrade, de ce fait, les conditions de vie de travailleurs et de nombreuses familles.
Par ailleurs, l’activisme effréné de responsables politiques ou administratifs, promoteurs de sociétés, prive les entreprises régulières ordinaires des moyens de développer leurs activités, aggravant ainsi le chômage. Dans le même temps, le phénomène galopant de détournements et de la corruption grève le bon fonctionnement des services et favorise non seulement l’enrichissement illicite mais encore la mauvaise exécution des marchés.

6.3. Traitement

6.3.1. Propositions de solutions

. Accélérer le traitement des dossiers d’Inspection générale d’Etat déjà transmis à la justice ;
. Mettre en mouvement tous les dossiers de crimes économiques de l’Inspection générale d’Etat, de l’Inspection générale du ministère de l’Economie et des finances et des inspections techniques des ministères en les remettant à la justice ;
. Sanctionner effectivement les coupables des faits déjà jugés et appliquer les sanctions qui seront prononcées ;
. Dénoncer, sanctionner et démettre de sa fonction toute autorité politique ou administrative affairiste ;
. Mettre un terme à l’utilisation abusive des biens publics et réduire le train de vie de l’Etat ;
. Attribuer les marchés publics en respectant scrupuleusement les textes en vigueur, selon des critères clairs et transparents, justifier l’attribution ou le rejet des soumissions aux appels d’offres et les porter à la connaissance du public ;
. Faire le bilan des différentes caisses créées sous la Révolution ;
. Faire la lumière sur les affaires des taxes routières, des timbres, de l’or (Compagnie d’exploitation minière d’or du Burkina Faso et affaire de l’or des Tribunaux populaires de la Révolution 1988), du riz (Caisse générale de péréquation) et Faso Yaar ; prendre les dispositions pour que ce genre de situation ne se renouvelle plus.

6.3.2. Recommandations

Le Collège de sages recommande :

6.3.2.1. la redynamisation de la police économique pour enquêter sur tous les cas de malversations, corruptions, enrichissements illicites, détournements de biens publics, spoliations, exonérations fiscales et douanières accordées à des sociétés et tiers.

6.3.2.2. la redynamisation des structures chargées du suivi du fonctionnement des organes de gestion des établissements publics.

6.3.2.3. un audit externe financier et comptable sur :
– l’attribution des marchés publics
– les privatisations
– la douane.

6.3.2.4. Le respect des dispositions constitutionnelles (articles 72, 73, 74, 75 et 77) pour les membres du gouvernement. L’article 77 doit être étendu à tous les présidents d’institutions ainsi qu’aux directeurs des administrations publiques et des sociétés d’Etat qui doivent déposer la liste de leurs biens à leur entrée en fonction et à la fin de leur exercice.

6.3.2.5. La création d’un espace démocratique où le peuple pourra interpeller le Chef de l’Etat, le gouvernement et les responsables d’institutions sur leur gestion de la chose publique.

VII. LES AUTRES CRIMES

Dans cette rubrique, le Collège de sages a regroupé tous les crimes qui ne sont ni de sang ni économiques mais sans que cela n’enlève rien à la gravité des faits.

7.1. Nature

7.1.1. Le terrorisme : ensemble des actes de violence qu’un régime politique entretient pour traumatiser la population et créer un climat d’insécurité et même de psychose.

7.1.2. Les disparitions : interpellations et enlèvements de personnes par des gens à la solde du pouvoir et dont on n’a plus jamais eu de nouvelles.
Ce type de crime n’est connu au Burkina Faso que depuis le Conseil national de la révolution (CNR).

7.1.3. Les tortures

7.1.4. Les séquestrations

7.1.5. Les viols

7.1.6. Les harcèlements

7.1.7. Les incitations à la criminalité par l’entretien de milices

7.1.8. Les carrières brisées.

7.1.9. L’atteinte à la cellule familiale par une idéologie qui avait pour objectif de saper les bases fondamentales de la société.

7.2. Causes

7.2.1. Le sadisme

7.2.2. Le non respect de la dignité de la personne humaine : l’homme ravalé au rang de l’animal

7.2.3. L’esprit de vengeance

7.2.4. L’abus d’autorité

7.2.5. La soif de créer le désordre

7.3. Traitement

7.3.1. Proposition de solutions

– Donner la situation actuelle des disparus,
– Ouvrir une enquête administrative pour clarifier les faits,
– Engager des poursuites judiciaires pour les crimes non prescrits en cas de plainte,
– Faire reconnaître ces crimes par leurs auteurs,
– Présenter des excuses officielles aux intéressés ou aux familles disparus,
– Réhabilité ceux qui ont eu leur carrière brisée,
– Retirer les armes irrégulièrement et illégalement détenues.

7.3.2. Recommandations

Le Collège de sages recommande :
– La reconnaissance officielle de la mort de certains disparus ;
– La prise en charge par l’Etat des ayants droit des personnes disparues ;
– L’ouverture d’une enquête pour vérifier l’existence de milices armées en vue de prendre les mesures qui s’imposent ;
– L’application stricte de la réglementation du permis de port d’armes, (enquête effective de moralité).
– La reconstitution des carrières brisées de tous ceux qui ont été brimés pour des raisons politiques (civils et militaires). vu la spécificité de l’armée, cette reconstitution doit tenir compte du profil de la carrière ;
La garantie de sécurité de toutes les personnes qui ont répondu à l’appel du Collège de sages en lui donnant des informations.

RECOMMANDATION SPECIALE

Commission vérité et justice pour la réconciliation nationale

Création et dénomination

Le Collège de sages recommande la mise sur pied d’une Commission dénommée : “Commission vérité et justice pour la réconciliation nationale”.

Mission et fonctionnement
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La Commission vérité et justice pour la réconciliation nationale a pour mission d’une part, d’aider à faire la vérité sur les différents crimes et veiller au droit à la réparation et d’autre part de présider le processus de cheminement vers la réconciliation nationale en vue d’une véritable catharsis et une ferme volonté de pardon mutuel.
La Commission vérité et justice pour la réconciliation nationale se dotera des structures techniques appropriées pour l’accomplissement de ses missions.
Pour une réelle réconciliation en vue d’une vraie catharsis, le Collège de sage n’a pas cru devoir retenir à l’étape actuelle, le principe de l’amnistie au nom du droit à la vérité et à la réparation.
Cependant, le Collège de sage recommande que la structure chargée des dossiers de crimes, les traite dans le sens d’une réconciliation prévoyant notamment la possibilité du “plaidoyer de culpabilité” (Le “plaidoyer de culpabilité” consiste à prévoir les dispositions pour faciliter la manifestation de la vérité et pour réduire automatiquement les peines éventuelles de tous ceux qui choisiront de passer aux aveux sincères et de plaider coupable).
Dans le cadre de sa mission, et toujours dans l’objectif de sceller la réconciliation nationale, la Commission vérité et justice pour la réconciliation nationale proposera l’adoption d’un projet de loi d’amnistie et d’indemnisation.

Application

La catharsis suppose que les acteurs assument leurs responsabilités, reconnaissent éventuellement leurs torts devant un peuple déterminé à dépasser les écueils douloureux de son histoire afin que la demande de pardon et son octroi s’appellent mutuellement.
Pour garantir cette volonté de réconciliation, le Collège de sages recommande que l’application de la catharsis commence par le premier responsable du pays, le Président du Faso. Il pourrait pour cela, dans un discours bref et solennel déclarer face à la Nation qu’en tant que premier responsable :
– Il assume l’entière responsabilité de ce qui s’est passé et qui traumatise notre peuple ;
– il demande pardon au peuple ;
– il promet que de telles pratiques n’auront plus cours ;
– il s’engage à travailler à l’avènement d’une société plus humanisée et plus consensuelle.

Composition

Le Collège de sage recommande :

1. Que pour plus d’efficacité et d’objectivité, les principaux acteurs de la scène politique de la période incriminée (de 1960 à nos jours) ainsi que les groupes politiques qui par nature sont nécessairement partisans ne soient pas membres de la Commission vérité et justice pour la réconciliation nationale.

2. Que la Commission soit composée de :
– Représentants des mouvements des droits de l’homme
– Représentants des Associations de femmes
– Représentants des autorités coutumières et traditionnelles
– Représentants des communautés religieuses
– Représentants des paysans
– Représentants des syndicats
– Représentants des retraités
– Représentants de l’ALDRO
– Représentants des élèves, étudiants et jeunes
– Personnes ressources issues de la société civile.

3. Que les organisations parties prenantes désignent comme représentants, des membres acquis à la cause de la paix sociale et à l’esprit de réconciliation nationale.

4. Que dans l’exécution de sa mission, la Commission recoure en cas de besoin au service de toutes les compétences utiles.

5. Que la mise en place de la Commission vérité et justice pour la réconciliation nationale intervienne dans la période septembre – octobre 1999.

CONCLUSION

L’histoire de notre pays est émaillée de crises socio-politiques multiples, plus graves les unes que les autres, avec des particularités et des solutions liées à la nature des régimes qui les ont assumées.
A l’origine de telles crises, et cela est principalement vrai pour celle présentement vécue, s’inscrivent la rupture de confiance et le déficit de dialogue entre les acteurs politiques et les populations d’une part et d’autre part entre le pouvoir et l’opposition.
Or, la confiance, source de légitimité et le dialogue sont le fondement de tout état moderne, et démocratique dont la gestion repose, avant tout, sur la responsabilité. Aussi, l’espoir de vivre enfin une véritable démocratie, appelle à stigmatiser les solutions expéditives ou militaires auxquelles hélas, notre pays a payé un lourd tribut.
C’est pourquoi, le regard doit dorénavant se détourner du passé, de ses promesses de développement dans la liberté et la justice. Une telle perspective ainsi que l’intérêt supérieur de la Nation, commandent à la classe politique de cultiver le sens de la responsabilité dans l’éducation et la formation des populations, dans les débats d’idées et dans la bonne gouvernance.
Ensemble et dans le respect, non seulement des valeurs humaines universelles mais aussi de nos valeurs culturelles propres, le devoir nous impose de puiser chacun, dans la profondeur de ses ressources, les éléments nécessaires à l’acceptation d’une catharsis collective. Une telle démarche sera entreprise dans l’esprit d’un cheminement vers la réconciliation des coeurs en vue de reconstruire la paix sociale, condition indispensable au développement durable dans un monde en pleine mutation.
La mise en oeuvre de conditions propices à la manifestation de la vérité dans les événements, facteurs de troubles, facilitera sans nul doute, les démarches préalables au pardon et à la décrispation sociale. Ces démarches devront être sous-tendues par un ensemble de mesures visant à établir la vérité et promouvoir la justice, soulager les consciences et à restaurer la confiance et le dialogue. Pour ce faire, un train de décisions politiques s’impose nécessairement.
Le présent rapport, après analyse des causes profondes de la crise met en relief un certain nombre de propositions de solutions dont l’application relève du très court terme.
Il formule également des recommandations dont certaines devraient connaître une mise en oeuvre rapide ; les autres relevant d’actions à entreprendre à moyen ou long terme.
Cependant, le Collège de sages est conscient que dans la conduite des hommes et des affaires de l’Etat, les textes quelle que soit leur qualité, ne suffisent pas en eux-mêmes à résoudre tous les problèmes. Leur efficacité, dépend des hommes qui les appliquent.
En conséquence, le Collège de sages lance un appel solennel au peuple burkinabè, à ses dirigeants, aux partis politiques et à l’ensemble des organisations de la société civile, afin que, dans une commune volonté de vivre ensemble, nous nous engagions tous, dans un effort de sursaut national, pour assurer la survie et la prospérité de notre pays.

APPEL DU COLLEGE DE SAGES AU PEUPLE DU BURKINA FASO

Notre pays vit depuis sept (7) mois une crise profonde qui perdure et s’étend à tous les secteurs de la vie nationale.
La paix sociale fortement secouée reste toujours gravement menacée.
Face à ce constat, nous devons observer un temps d’arrêt et de réflexion pour tirer les leçons qui s’imposent.
Nous devons marquer une pause pour trouver ensemble les voies et moyens conduisant à l’instauration et au maintien de la paix sociale ainsi qu’à la réconciliation nationale.
Ces voies et moyens doivent nécessairement passer par la vérité, la justice et le pardon.
Justice aussi parce que les coupables doivent demander pardon, en toute humilité, réparer leurs fautes et s’engager à ne plus recommencer.
Courage et magnanimité à ceux qui ont été meurtris pour accorder le pardon.
– Le Collège de sages est convaincu que le peuple Burkinabè saura puiser dans ses propres valeurs les ressources nécessaires pour tourner cette page douloureuse de son histoire.
Il y va de l’avenir de notre pays.

RAPPORT ADOPTE LE 30 JUILLET 1999

Ont signé :

Sangoulé LAMIZANA, Saye ZERBO, Jean-Baptiste OUEDRAOGO, Monseigneur Anselme SANOU, Monseigneur Paul OUEDRAOGO, Boinzenwendé Freeman KOMPAORE, Yemdaogo Jean-Charles OUEDRAOGO, Mama SANOU, El Hadj Mahamoudou TIEMTORE, Tibo Augustin CONGO, Sidiki SANOU, Bila Charles KABORE, Moussa KONE, Maurice Arsène OUEDRAOGO, Mme Henriette BARY, Mme Pauline HIEN WINKOUN

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