Sa voix fait partie de celles qui ont marqué les Voltaïques dès les premiers moments de la Radio nationale voltaïque. Enseignant de formation, amoureux des lettres, il avoue avoir saisi le journalisme au vol. Pigiste, directeur de la télévision nationale, correspondant au Vietnam pendant la guerre, Roger Nikièma a gravi tous les échelons. « Les félicitations de mes supérieurs hiérarchiques et le soutien indéfectible des auditeurs m’ont toujours permis d’aller plus loin », reconnaît- il. Aujourd’hui à la retraite depuis 20 ans et malgré ses 80 ans, le doyen Nikièma continue de gravire les escaliers quotidiennement pour être à son bureau de directeur de la radio Salankoloto qu’il dit avoir « contribué à créer ». Flashback dans la vie d’un passionné, sans retraite.
CNP – NZ : Comment vous est venue l’idée de faire du journalisme ?
Roger Nikièma : C’est une passion qui me poursuit. J’ai été journaliste parce que dès mon jeune âge j’aimais écrire, j’ai eu en charge dès mon école primaire, la bibliothèque de mon maître, ce qui m’a permis de m’engager dans la lecture. Quand je suis allé au secondaire j’ai continué cet amour du livre et j’ai toujours eu en charge la bibliothèque de mon établissement pendant ma scolarité. J’écrivais aussi dans certains journaux locaux ou africains.
J’ai commencé par le métier d’enseignant, puis j’ai été admis à poursuivre mes études à Abidjan. Au même moment passait à Ouagadougou une équipe qui choisissait des gens pour des cours de journalisme en France. Je suis arrivé le lendemain du départ de cette équipe. Le ministre de l’époque qui s’occupait de la radio qui venait d’être ouverte en 1959 m’a dit que l’équipe est partie mais si j’y tiens d’aller voir le directeur de la radio, s’il a besoin de quelqu’un il va me prendre. Je suis allé et immédiatement le directeur m’a testé et dit : « voilà votre place ! » C’est ainsi que je suis devenu pigiste avant d’être engagé. Au fil du temps j’ai pris goût au journalisme et ce qui m’encourageait ce sont les auditeurs. Ils avaient une sorte d’attachement à leur présentateur, ce qui fait que jusqu’aujourd’hui, des anonymes viennent se présenter à moi et me rappeler ce bon vieux temps. Cela me fait chaud au cœur.
Par la suite je suis allé en France pour une formation approfondie. Les félicitations de mes supérieurs hiérarchiques et le soutien indéfectible des auditeurs m’ont toujours permis d’aller plus loin. Après la France j’ai eu une autre bourse pour aller étudier à l’école des études de la communication à Dakar au Sénégal. A mon retour j’ai gravi les échelons jusqu’à ma retraite. Je peux m’estimer heureux que ce parcours soit ascendant du début à la fin. Je me réjouis de l’honneur que l’Etat m’a fait en me faisant Commandeur de l’Ordre National et j’ai eu bien d’autres distinctions. Et la cerise sur le gâteau, c’est le privilège d’avoir une rue en mon nom dans le secteur que j’habite.
A côté de ma profession j’ai une famille qui a accepté que je pratique ce métier. On s’absentait très souvent et cela n’est pas facile pour une femme qui a des enfants. J’ai été correspondant au Vietnam pendant la guerre, j’ai fait pratiquement le tour des capitales européennes. J’ai été au Canada et aux Etats- Unis plusieurs fois. En Afrique il y a peu de capitales que je n’ai pas foulées. Le journalisme a des avantages géographiques, culturels, favorise des formations et des relations. Sur le plan national vous devenez sans le vouloir une personnalité centrale et tout le monde pense que vous êtes au courant de tout. Je note aussi que j’ai participé à plusieurs luttes socioprofessionnelles qui ont permis d’ouvrir des voies dans le sens de l’amélioration des conditions des journalistes. Toutes choses qui ont permis aujourd’hui d’avoir une pluralité des médias. Avant la radio comme la télévision était la voix de son maître. Ce sont ceux que les autorités acceptaient qui pouvaient parler à la télé et à la radio.
Aujourd’hui les gens sont bien formés et ils font un bon travail, ce qui fait que sur le plan international des écrits de journalistes burkinabè sont repris ailleurs. Je pense que c’est une maturité qui honore la famille de la presse. J’avoue que la passion que j’ai pour ce métier me rajeunit toujours. J’ai près de 80 ans mais je gravis les escaliers quotidiennement pour être à mon bureau non seulement pour contribuer à suivre la vie de la petite radio que j’ai contribué à créer depuis maintenant près de vingt, mais aussi pour voir ce que font mes confrères, les lire et m’émerveiller de temps en temps sur le travail qui est fait. Je puis affirmer que je n’ai pas été à la retraite parce que depuis 20 ans que j’y suis, je continue d’être un agent de radio.
Notre pays a connu beaucoup de changements de régimes politiques, comment vous viviez ces changements en tant que journaliste ?
Ça a été difficile parce qu’il y a des choses qu’on peut réussir et d’autres qu’on ne peut pas ! Moi je ne peux pas réussir en politique. Je préfère faire autre chose que de me passionner pour la politique. Je vais vous raconter une anecdote : quand j’étais directeur de la télévision, nous occupions un bâtiment qui était proche de la présidence du Faso. La Présidence devait être rénovée ; et alors ils ont pensé que chez nous il y a de la place. C’est ainsi que le siège de la télévision était devenu le siège du Conseil des ministres pendant au moins six mois. Tous les mercredis mon bureau devenait le bureau présidentiel, mon téléphone celui du président à partir duquel le Capitaine Président Sankara appelait ses collègues. J’ai eu la chance de répondre souvent à des coups de fil le jour que le Président n’est pas là. Un jour, le Président m’a dit : « vous êtes directeur d’une institution nationale mais je constate que vous avez un pied dedans et un pied dehors. Je ne vois pas votre nom sur les listes. » Je lui ai répondu que j’avais les deux pieds dedans. Cela voudrait dire que le Président a constaté que beaucoup de journalistes avaient déjà choisi tel ou tel bord politique et que moi, même responsable, il ne voit pas mon nom. En réalité je n’avais pas les deux pieds dedans parce qu’en politique je ne peux pas y réussir.
Quelle analyse faites- vous de la pratique du métier par les jeunes générations ?
Les exigences ne sont plus les mêmes. Aujourd’hui les jeunes ont peut- être beaucoup plus de facilités. Nous nous avons attrapé le journalisme au vol. Actuellement plusieurs de nos jeunes confrères ont évolué régulièrement après leurs études secondaires, ils sont allés à l’université, ont eu des filières de communication et sont sortis bien bagués comme communicateurs. Mais nous nous avons été formés par à coups ! On a six mois de formation, on part et on revient ; après c’est un mois, etc. Notre formation n’a pas été de façon permanente vers le sommet.
Malheureusement vous avez des jeunes confrères qui pour eux le journalisme est un jeu. Ils ne vivent pas leur profession comme une réalité. La conscience n’est plus une conscience responsable. J’ai l’impression que la jeunesse semble dire que tant que je pourrai recevoir 10 000F de quelqu’un, je n’ai pas besoin de me décarcasser. Il y a plein de journalistes mais il y a peu qui réussissent. Quand on envoie un jeune en reportage, à son retour l’intéressé a déjà oublié le fil conducteur de la cérémonie. C’est parfois navrant ! Des gens qui ont le bac, la licence, la maîtrise mais ça ne va pas. Tu reviens d’un reportage tu ne connais pas le nom de ton interviewé ! La politique se mêle à 80% du journalisme. Les hommes politiques vont jusqu’à typer les journalistes dans les organes de presse qui doivent faire leurs reportages. Ça fait que le responsable ne peut plus gérer sa maison. Les jeunes pensent qu’il faut bouffer et c’est la course aux perdiems. C’est ça qu’il faut déplorer.
Interview réalisée par Koundjoro Gabriel Kambou