Il est comme son journal, le doyen des journalistes de la presse privée burkinabè. Admis à l’université de Dijon en France, Edouard Ouédraogo en sort avec une maîtrise en lettres modernes. Il retourne au pays en 1969 où il enseigne dans plusieurs lycées et collèges de la ville de Ouagadougou. Décidé à ne pas “faire de vieux os dans la fonction publique”, Edouard Ouédraogo dépose la craie après seulement trois ans d’enseignement pour une autre aventure : l’édition du “quotidien voltaïque d’information dénommé L’Observateur”. Nous sommes en mai 1973. Une première dans l’Afrique occidentale française. Directeur de publication de L’Observateur Paalga et de L’Observateur Dimanche, Edouard Ouédraogo s’ouvre à nous sans détour dans les lignes qui suivent et donne sa vision de la presse burkinabè d’hier à aujourd’hui.
Présentez- vous à nos lecteurs
Je suis Edouard Ouédraogo, directeur de publication de L’Observateur Paalga et de L’Observateur Dimanche. Je suis à la tête de ce journal depuis sa création le 28 mai 1973 sous l’appellation simple de L’Observateur. Puis il y a eu la traversée du désert consécutive à un incendie criminel qui a ravagé l’imprimerie du journal pendant la révolution. Nous n’avons pu reprendre que le 15 février 1991 sous l’appellation cette fois de L’Observateur Paalga. Le mot Paalga est un adjectif en mooré qui signifie nouveau.
Comment vous est venue l’envie de pratiquer du journalisme ?
Je suis de formation littéraire, j’ai obtenu ma maîtrise en lettres modernes ancienne formule à l’université de Dijon et je suis rentré en début décembre 1969. J’ai pris immédiatement la craie pour enseigner la langue française dans les lycées et collèges de Ouagadougou à partir du 9 décembre 1969. J’ai enseigné pendant trois ans. Quand je rentrais je n’avais pas pour ambition de faire de vieux os dans la fonction publique pour plusieurs raisons. Mais je ne pensais immédiatement au journalisme. J’avais été séduit en France par l’expérience des FNAC (Fédération nationale d’achat des cadres). Les FNAC avaient pour rôle la vente à bas prix des ouvrages didactiques ou professionnels. Ici à Ouagadougou il n’y avait pas une librairie digne de ce nom. Il y avait des papeteries qui tenaient lieu aussi de librairies à l’occasion des rentrées scolaires. Mon objectif était donc de doter la ville de Ouagadougou d’une librairie digne de ce nom et qui ferait accessoirement de la papeterie. J’avais déjà pris des contacts dans ce sens quand un événement à la fois familial et local, un lotissement sauvage entrepris par la mairie de Ouagadougou dans un quartier où nos parents résidaient depuis plus de trois décennies. C’étaient des ouvertures de voies sans préavis. C’est donc cet événement qui va précipiter les choses. Nous avons compris qu’un citoyen peut être brimé dans ses droits, mais s’il n’a pas l’occasion de pouvoir s’expliquer, les gens croiront qu’il a tort alors qu’il a raison. On s’est donc rendu compte de l’utilité d’un organe permettant au citoyen de se défendre quand ses intérêts sont menacés. A l’époque il y avait seulement la radio, la télévision, le Carrefour africain mais qui étaient des organes d’Etat. Nous étions loin du Burkina d’aujourd’hui avec une société civile qui à la moindre alerte des intérêts des citoyens volent à leurs secours. A l’époque les gens étaient laissés à eux- mêmes. Il fallait donc un organe où quand leurs intérêts sont compromis ils puissent saisir l’opinion publique à témoin. Voilà comment est venue l’idée de lancer ce journal. La loi 20 AN du 31 août 1959 permettait à chaque citoyen de créer un journal sans autorisation préalable. On a saisi cette occasion pour lancer L’Observateur.
De la craie vous arrivez à la plume et pas dans un organe d’Etat, une première expérience dans la presse privée, ça n’a pas été facile pour vous.
Effectivement ça n’a pas été facile ! C’est sûr que si nous avions deviné ce qu’il en coûtait à tous les points de vue (financier, technique, journalistique, etc.), si on avait une claire conscience de la tâche qui nous attend, on aurait hésité ou plutôt on aurait lancé un hebdomadaire. Mais vous savez, il y a des moments où quand vous ne connaissez pas un problème, un risque dans toutes ses implications, vous foncez. Ça peut vous être fatal comme ça peut vous porter bonheur. C’est peut-être l’amateurisme qui nous guidait au moment de la création du journal qui a fait que nous avons fait le pas. Ceux qui s’y connaissaient disaient que le journal n’allait pas faire trois mois. Mais nous avons pu tenir le coup sans interruption jusqu’au 10 juin 1984, date de l’incendie du journal.
Quelles sont les qualités qui vous ont permis de tenir le coup ?
La qualité c’est ce qui est encore demandé aux organes de presse aujourd’hui : c’est d’abord la foi en ce qu’on fait même s’il y a des moments de découragement. Le doute ne doit pas l’emporter sur la foi. Aujourd’hui tout homme qui se lance dans l’activité éditoriale il faut qu’il ait cette foi, même si vous avez les moyens, cela ne suffit pas. Il y a des difficultés que les moyens ne suffisent pas à résoudre, il faut de l’engagement et de la conviction.
Quelles étaient les menaces que vous subissiez à l’époque ?
Nous sommes venus dans un contexte où les gens avaient du journaliste et de l’information, une vision purement fonctionnariste. Les confrères qui travaillaient dans les médias d’Etat étaient vus comme des gens qui devaient obéir et faire ce que leur dicte leur hiérarchie. Ils n’avaient pas de marge de manœuvre en ce qui concerne le traitement de l’information officielle. Ils étaient là pour faire plutôt de la communication que de l’information. Ils ne pouvaient pas se permettre de faire des commentaires. Mais nous les gens reconnaissaient qu’on avait une marge de manœuvre, mais quand ça concerne des sujets que tel ministre juge de sa compétence, il nous reproche que nous n’avons pas le droit de traiter de ladite question à notre guise. Il y avait donc une mauvaise compréhension du rôle de la presse et du journaliste. Pour les autorités le journaliste est un griot servile qui est là pour amplifier la voix de son maître. On faisait donc face à des menaces, à des actes de répression comme les saisies et à des intimidations. Plusieurs fois j’ai été convoqué à la gendarmerie et surtout à la police nationale pour m’expliquer sur les raisons qui nous ont poussés à traiter telle question de telle manière. A l’époque la conjoncture n’était pas favorable à la presse : à l’intérieur il n’y avait personne pour défendre un journaliste qui est interpellé par la police, ou se plaindre parce que son journal a été saisi ; à l’extérieur c’était exactement la même chose. Nous subissions toutes ces mesures répressives par nous- mêmes sans qu’il n’y ait une structure organisée pour voler à notre secours. Aujourd’hui si on arrête un journaliste, la minute qui suit tous les médias du monde répercutent la chose. Néanmoins c’était une nouveauté pour le Burkina parce que nous étions le seul pays où il y avait un journal dans lequel les gens pouvaient s’exprimer assez librement en s’attaquant aux actes posés par les gouvernants ou tous les dépositaires du pouvoir public. Beaucoup de pays nous enviaient à cause de ce journal qui n’avait d’équivalent nulle part ailleurs. Dans toute la sous- région, même le Sénégal qui se targue d’être le premier partout n’avait pas un journal de ce type.
Ce n’était pas facile mais L’Observateur a contribué dans l’évolution démocratique de notre pays. Il a beaucoup servi ; y compris même à populariser des idées qui vont se retourner contre lui comme les idées révolutionnaires. Les premières idées sur la révolution démocratique et populaire ont été développées dans le journal L’Observateur. Notre ligne était la parole à tout le monde et de permettre l’expression de toutes les idées.
Quelles anecdotes avez- vous gardé de l’exercice de ce métier de journaliste ?
Disons que nous avons commencé en mai 1973 et immédiatement après il y a eu à Bobo des affrontements intra-confessionnels, notamment entre ceux qu’on appelle les musulmans ordinaires et les wahabia. La situation était tellement tendue qu’il a fallu un arrêté du ministre de l’intérieur pour instaurer le couvre- feu à Bobo- Dioulasso. Mais personne n’a parlé de ces événements. C’est seulement le reportage de notre correspondant qui a permis aux gens de savoir ce qui s’est passé à Bobo. Quand nous avons fait cas du couvre- feu instauré, le ministre de l’intérieur m’a convoqué dans son bureau pour me poser cette question « Qui vous a dit qu’il y a le couvre- feu à Bobo ? » malgré toutes les intimidations je me suis tu je n’ai rien dit. Ils m’ont par la suite laissé partir. Il y a autant de cas de ce genre, des interpellations à la police ou à la gendarmerie.
Quels souvenirs gardez- vous de l’incendie de juin 1984 ?
Après l’incendie c’était la paralysie totale nous ne pouvions rien faire ; aucune imprimerie de la place n’accepterait imprimer notre journal. La disparition du journal marquait aussi l’éclipse des libertés individuelles et collectives, il n’y avait plus aucun espace d’expression où les gens qui n’étaient pas d’accord pouvaient aller défendre leurs idées ou attaquer les idées dominantes. Il faut noter que l’incendie du journal a eu lieu la veille de la décision prise par le CNR (Conseil national de la révolution, ndlr) d’exécuter des gens qu’ils ont arrêtés pour complot. Si L’Observateur existait toujours, forcément il allait chercher à comprendre à tout prix ce qui s’est passé. C’est pour éviter cela qu’ils ont décidé d’en finir avec le journal. Il y a un lien de cause à effet entre l’incendie du journal qui a eu lieu le 10 juin et l’exécution desdits comploteurs qui a eu lieu dans la nuit du 11 au 12 juin 1984.
Quel regard rétrospectif jetez- vous aujourd’hui sur la presse burkinabè ?
Aujourd’hui tout comme au temps de L’Observateur, le Burkina Faso demeure un exemple. La presse est variée et surtout professionnelle. J’entends par presse professionnelle le fait que les journaux ne sont quand même pas des officieux de partis politiques. Dans beaucoup de pays de la sous région exceptés le Sénégal et certainement le Mali, les journaux sont des officiers de partis politiques ou de groupes d’intérêt. Au Burkina les journaux sont surtout des journaux d’informations générales malgré souvent leur ligne éditoriale. Les journaux burkinabè ont quelques tares surtout du point de vue graphisme et autres mais du point de vue respect de la déontologie journalistique, nous sommes exemplaires. Je pense que ce n’est quand même pas un hasard que quand vous écoutez les revues de presse de RFI, la Voix de l’Amérique, la presse burkinabè est le plus souvent citée.
Quel est l’état de la liberté de la presse selon vous ?
Sur le plan normatif les textes garantissent suffisamment la liberté de la presse, mais ces textes restent perfectibles. Nous avons un code qui contient encore des clauses d’emprisonnement, on ne peut pas dire que la liberté de la presse est totale dans un pays où un journaliste peut aller en prison du fait de sa profession ; mais nous travaillons à parfaire les textes.
Comment voyez- vous aujourd’hui les jeunes journalistes ?
Les jeunes journalistes ont certainement plus de facilités que nous. Aujourd’hui vous n’avez même pas besoin de faire une banque de données parce que tout est sur le net. Il suffit simplement de savoir s’y débrouiller. Chaque journaliste a aujourd’hui son PC où il peut écrire ses articles et envoyer. Mais j’ai des observations à faire sur deux plans. Le premier plan est d’ordre formel : c’est la maîtrise de la langue surtout pour la presse écrite. L’écrit demande plus de rigueur que l’oral et sur ce plan je suis regret de constater que les générations passées maîtriser mieux la langue française que la génération actuelle. Là il y a vraiment du travail à faire. Je ne sais pas sur quelle base les gens sont recrutés ou quel est le contenu de leur formation mais pour moi il faudrait que ceux qui vont dans les instituts de formation, que le premier trimestre au moins soit exclusivement consacrée à revisiter tous les fondamentaux de la grammaire, de la syntaxe et de la stylistique française. Maintenant sur le plan de la déontologie et de l’éthique, là aussi il y a beaucoup à dire. Nous quand nous commencions le journaliste était un homme crédible, aussi crédible que le curé de la paroisse. Les journalistes étaient vus comme des gens propres, droits et leur travail les pousse à ne pas tomber dans ce qu’ils critiquaient. On leur faisait confiance sur le plan de la conduite et du rapport à l’argent. Malheureusement aujourd’hui il y a une inversion d’éthique sur ce plan. Mais je me réjouis du fait que nous ne sommes pratiquement plus dans le tableau de déshonneur des rapports du RENLAC sur la corruption. Je comprends que la vie est très difficile aujourd’hui et que dans notre métier il y a des possibilités de monnayer sa plume ou son micro mais ce n’est pas pour autant qu’il faut se laisser aller et succomber à la tentation. C’est vrai aussi qu’il y a plein de gens qui sont venus dans le métier sans la moindre vocation, simplement parce que ce n’est pas très bien réglementé pour ce qui concerne l’exercice du métier ; mais de plus en plus il y a de l’amélioration. Il faut donc œuvrer à ce que cette histoire de “gombo” ne gangrène pas le métier. Je répète encore que je comprends : quand nous avons commencé il était plus facile de s’offrir une maison, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut que les journalistes se rendent compte qu’ils ont un métier délicat et une mission sociale à remplir. Cette mission sociale demande qu’ils s’efforcent d’être des exemples. Vous ne pouvez pas passer le temps à dénoncer la corruption, et les gens ne peuvent pas vous prendre au sérieux si vous- mêmes vous tentez les gens à vous corrompre, vous solliciter les tiers pour mettre votre plume à leur service pour rédiger des publicités à la place des articles. Il faut que nous soyons des exemples malgré les difficultés auxquelles nous pouvons être confrontés. Je pense que si les gens font correctement leur travail ils ne mourront pas de faim, quitte à lutter à ce que les employeurs les paient décemment. On ne peut pas en faire des richards, si on veut être riches ce n’est pas au journalisme. Mais l’une des récompenses c’est la satisfaction morale. Quand vous écrivez bien, vous faites de bonnes analyses, on est satisfaits quand les gens vous le reconnaissent ; mais il ne faut pas que vous soyez une ordure. Le reste viendra puisque le journalisme mène à tout à condition d’en sortir comme on dit. J’encourage les jeunes à se lancer dans le métier parce qu’il y a beaucoup de choses à faire. Il faut que les journalistes cessent d’être des généralistes et qu’ils se spécialisent chacun dans un des nombreux domaines encore vierges.
Par Koundjoro Gabriel Kambou