Enseignant de formation, Amadou Baba Karambiri abandonne la craie pour le micro. Par amour. « Je suis venu au journalisme par amour le 6 février 1977. » Pendant trente cinq ans, Baba Karambiri a servi les auditeurs du Burkina et d’Afrique en langues nationales. Il parle couramment une quinzaine de langues nationales. De beaux souvenirs il en garde beaucoup, des mauvais aussi. « … je ne dis pas que la radio est ingrate mais les hommes sont ingrats ». C’est un homme fier mais fâché que nous avons rencontré.
Sa formation a fait de lui un enseignant, mais son cœur balançait pour autre chose : le journalisme. C’est finalement son cœur qui a eu le dernier mot le 6 février 1977, date à laquelle Amadou Baba Karambiri fait son entrée à la radio voltaïque. Il y restera comme animateur pigiste en langue nationale pendant plus d’une dizaine d’années avant d’être intégré. Son amour pour le métier de journaliste fut plus fort que toute autre souffrance qu’il devait endurer pour y demeurer. Son travail à l’époque consistait à faire des sorties dans les villages pour la production d’émissions et les actions de sensibilisation des populations rurales. Par ce métier, Amadou Baba Karambiri connaît le Burkina comme la paume de sa main. « Pendant toutes ces années le Burkina m’a connu, l’Afrique m’a connu. Il n’y a pas un village au Burkina où vous allez dire Baba Karambiri et ceux de ma génération vont dire qu’ils n’ont pas entendu ce nom ; surtout quand j’animais le concert, le prénom Bachiba Natan (son pseudonyme) était une référence en Afrique occidentale », se souvient- il.
A lui seul, Baba Karambiri animait cinq émissions quotidiennes et hebdomadaires. Son concert des auditeurs en dioula dépasse les frontières du Burkina et de l’Afrique occidentale. Le Burkina Faso faisait office de pionnier à l’époque dans l’animation des concerts en langues nationales. Très vite, Baba Karambiri est noyé par la pléthore des demandes de disque des auditeurs. « Au Mali, au Sénégal, en Mauritanie, en Guinée, au Niger, en Côte- d’Ivoire jusqu’au Gabon, au Ghana et en Lybie, les gens nous écoutaient et nous envoyaient leurs demandes », cite- t-il fièrement les pays. Il sera aussi le premier à introduire le téléphone dans le concert des auditeurs. Des souvenirs que Bachiba Natan garde jalousement au fond de sa mémoire et qui l’accompagneront certainement dans sa dernière demeure. Le ton ferme, il conte une anecdote vécue en Côte d’Ivoire. « En 1980 j’étais allé en Côte- d’Ivoire pour voir mes parents. Un jour je suis allé au marché d’Adjamé avec un cousin. Quand il m’a présenté à un Mossi (ce sont mes esclaves), ce Mossi a dit : voilà le petit Baba Karambiri de la radio ! En même temps, Burkinabè comme Ivoiriens, Maliens, Guinéens, c’était devenu un autre marché autour de moi. Ce jour-là, si je dis que je n’étais pas fier, ce n’est pas vrai. Pendant tout mon séjour en Côte- d’Ivoire les gens quittaient depuis San Pedro, Gagnoa, Daloa, etc. et venaient me voir. Ça, je ne peux jamais l’oublier ».
De la jeune génération de journalistes, Amadou Baba Karambiri est …amer. A juste titre. Extraits : « La jeune génération, on dirait qu’ils sont venus simplement pour faire les missions et empocher les perdiems. Sincèrement c’est regrettable. Ils ne veulent pas endurer une certaine difficulté ou souffrance. Or, lorsqu’on a choisi son métier on doit endurer toutes les souffrances pour en tirer tous les profits… L’autre fait il n’y a pas de cohésion entre les jeunes. Eux-mêmes ils ne s’aiment pas. Ce n’est pas bien. A notre temps (il durcit le ton) c’était vraiment la cohésion et la collégialité entre hommes comme femmes de médias », martèle Baba Karambiri. Mais il n’en a pas encore fini avec les jeunes. Dernier extrait : « La jeune génération ne s’approche pas de nous anciens. On a beaucoup de choses à leur apprendre, à leur dire sur tous les plans ; surtout que ce pays a traversé plusieurs péripéties politiques. Je félicite votre démarche vous qui êtes venus me demander. La jeune génération doit savoir ce que nous, nous avons fait à notre temps », ajoute- t- il.
Une autre chose qui fâche le doyen Karambiri, c’est le contenu de la formation dispensée dans les écoles de journalisme et la politique même de recrutement des journalistes pour les radios rurales et/ou locales. « Je critique les critères de recrutement. Vous allez recruter des gens les former en journalisme pour les envoyer à la radio rurale ou dans les stations régionales ; ils ne comprennent aucune langue de la localité, comment vont- ils donner l’information à cette population ? », s’interroge- t- il. Pour le doyen, les jeunes qui sortent de l’ISTIC (Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication) ou de l’université de Ouagadougou sont des intellectuels, mais en pratique beaucoup de choses leur manquent. Il faut donc à ses yeux que les écoles de formation s’appesantissent un peu plus sur la pratique surtout la dernière année de formation. Il appelle de tous ses vœux à mettre l’accent sur la formation des jeunes journalistes en langues nationales. Baba Karambiri affirme disposer de compétences en la matière. « J’ai des modules en dioula, en mooré, en fulfuldé. Dans ces trois langues je peux faire des formations sans me tromper ; que ce soit en production d’émissions, en reportage radio, en collecte et traitement de l’information », révèle- t- il.
Au soir d’une carrière bien remplie, Amadou Baba Karambiri ressent « beaucoup de joie d’avoir été utile à la nation et à la radio rurale ». Des difficultés il y en a eu énormément, mais une seule l’a durement marqué au point qu’il s’en souvient avec peine. « Un jour, ma femme devait accoucher. Je devrais faire des examens pour qu’on lui fasse l’opération. Je suis allé à la radio, je n’avais pas 5F. Je suis rentré voir l’intendant pour prêter vingt cinq mille (25 000) francs et à la fin du mois je vais rembourser. Je n’ai pas pu avoir ladite somme. Je ne peux jamais oublier ça… ». Le souvenir est douloureux, pathétique. « C’est quelqu’un avec qui on se connaît simplement qui m’a vu à la station Total à côté du rond- point des Nations unies ; j’étais angoissé, peiné. Je ne savais pas comment j’allais pouvoir sauver cette bonne dame qui m’a supporté pendant des années et qui porte mon enfant, je n’arrive pas à avoir les frais pour lui administrer les soins.
Cet homme là, que Dieu le bénisse. Je ne peux pas oublier. Il me dit : mais grand-frère qu’est-ce qu’il y a vous êtes anxieux. J’ai dit oui. Ma femme doit accoucher et je dois faire des examens qui me coûtent près de vingt cinq mille francs. Je viens de mon service où je n’ai pas pu avoir les vingt cinq mille francs. Il me dit, vingt cinq mille francs ? J’ai dit oui. Il me fait rentrer par l’autre portière de sa voiture, il compte et met une somme dans l’enveloppe qu’il me tend. Il me dit « allez faire les examens et je prends toutes les charges à l’accouchement ». En plus il fait le plein de mon réservoir et me donne un bon de 5 000F. J’arrive à la maison, j’ouvre l’enveloppe et je trouve cent mille (100 000) francs dedans. Ce jour-là, j’ai pleuré. J’ai pleuré. Après tant d’années de services rendus à la nation et à la radio nationale, que je vienne demander 25 000F, que je ne puisse pas l’avoir, or il y avait la caisse de menu dépenses ; et c’est quelqu’un d’autre qui m’a donné ça ! Quand j’y pense, je ne dis pas que la radio est ingrate mais les hommes sont ingrats. Dieu merci cet enfant vit aujourd’hui, il a presque finit l’université, ma femme vit, je suis là. Je ne regrette rien. Si demain on me demandait les mêmes services, je le ferais ».
Koundjoro Gabriel Kambou